Communication digitale

Peut-on avoir une utilisation éthique des réseaux sociaux ?

By 4 décembre 2020 mars 26th, 2021 2 Comments
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Au début, je ne voulais pas le regarder. J’ai lu les chroniques suite à sa sortie et entendu les témoignages. J’ai vu des posts sur les réseaux sociaux (la belle ironie) en parler et dire à quel point il était nécessaire de le visionner pour ENFIN ouvrir les yeux. 

Non, décidément je ne voulais pas regarder le documentaire Derrière nos écrans de fumée (The social dilemma). Sorti sur Netflix en octobre, il dénonce l’emprise et la manipulation des réseaux sociaux sur leurs utilisateurs. J’avais peur de me rendre compte à quel point mon addiction à mon téléphone était bel et bien réelle. Comme si je ne le savais pas déjà… C’était aussi pour moi donner raison à toutes les personnes clamant que les réseaux sociaux étaient le mal absolu. Qu’on y trouvait la lie de l’humanité et que tout était à brûler. Oui, je flippais un peu et je me sentais bête. D’autant plus qu’utiliser les réseaux sociaux… c’est mon métier. 

Et puis je me suis souvenue que la politique de l’autruche n’était pas dans mes habitudes. La première étape pour combattre une addiction, c’est de la comprendre et de l’accepter. Je me suis donc posée un soir devant mon écran d’ordinateur, et j’ai appuyé sur play. 

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Rare image de moi appuyant sur « Play »

En fait, c’était moins pire que ce que je ne pensais. Déjà, parce que je n’ai pas eu la sensation d’apprendre une désastreuse réalité qui m’avait été cachée et d’avoir été totalement inconsciente jusqu’alors. Ensuite, parce que je me suis rendue compte que j’étais peut-être un (tout petit) peu moins accro que prévu. Et enfin, parce que le documentaire termine tout de même sur une petite note d’espoir. Bien qu’il comprenne aussi l’évocation d’une possible guerre civile aux États-Unis, due au développement croissant des technologies. (Oui, ne le regardez pas dans n’importe quelles conditions quand même, ça peut être angoissant).

J’en suis plutôt sortie enrichie, et pleine de réflexions. La première de toutes étant de savoir s’il était possible d’adopter une utilisation éthique des réseaux sociaux. Bref, j’ai décidé que c’était le bon moment pour écrire un article à ce sujet. 

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(Photo Courtesy: Twitter/ @Nepali_SRK)

De la dangerosité des réseaux sociaux. 

Que raconte The social dilemma ? Le documentaire met à l’honneur celles et ceux qui ont travaillé à la création et au développement des plus grands réseaux sociaux. À l’image du docteur Frankenstein qui nous présenterait sa monstrueuse créature, ielles nous expliquent à quel point leur propre travail se révèle dangereux pour l’humanité. Qu’en retient-on, dans les grandes lignes ?

L’addiction aux réseaux sociaux est bien réelle.

Comme les réseaux sociaux peuvent procurer un sentiment de plaisir immédiat, très facile à satisfaire, leur usage devient vite addictif. Une notification détourne tout de suite notre attention et nous fournit une distraction complaisante. Comme toutes les addictions, on peut rapidement passer du plaisir au dégoût de soi-même. Les réseaux sociaux nous soumettent encore plus à la comparaison, et peuvent être totalement déprimants lorsqu’il s’agit de contempler la présupposée vie parfaite d’autres abonné-e-s.

La moindre de vos actions est enregistrée.

Il n’y a pas d’exception. Votre téléphone enregistre tout ce que vous regardez, combien de temps vous vous arrêtez sur un post, ou quel est le dernier profil que vous êtes allé stalker (pas de cachoteries entre nous). L’algorithme des réseaux sociaux va donc être en mesure de vous « façonner » petit à petit en vous proposant un contenu similaire à ce que vous avez consulté ou aimé. À l’origine, une stratégie pour vous faire passer plus de temps connecté-e et vous « faire plaisir ». Mais aussi pour pouvoir vous identifier comme client-e potentiel-le de telle ou telle marque.

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Vous ne voyez que ce que vous avez envie de voir.

Le fait d’être soumis-e en permanence au même contenu implique également de ne voir qu’une partie des informations. Notre feed Facebook ou Twitter va mettre en avant des personnes qui postent des contenus similaires à ceux que nous avons déjà liké ou commenté. Étant donné que nous sommes toujours exposé-es au même contenu, nous avons finalement tendance à ériger comme vérité absolue ce que nous voyons. Ainsi, nous sommes totalement décontenancé-es lorsque nous sommes face à des personnes à la pensée radicalement opposée à la nôtre (coucou Donald Trump).

Tout le monde n’a pas accès à la même information.

C’est sans doute ce qui m’a le plus marquée lors du visionnage de ce documentaire. En fonction de votre géolocalisation, les résultats des moteurs de recherche diffèrent. Si vous vous trouvez au fin fond du Texas il est plus probable qu’en tapant « réchauffement climatique » sur Google, la première réponse soit « le réchauffement climatique est un mensonge ». Si vous faites cette même recherche à Paris, c’est plutôt « le réchauffement climatique détruit la planète » qui sortira en priorité. Une différence qui a son importance et qui entraîne une profonde division sociale et une grande incompréhension entre différents groupes. Elle peut aussi contribuer au développement de multiples théories complotistes.

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Photo : Derrière nos écrans de fumée (Netflix)

Une utilisation positive des réseaux sociaux ?

Nourrie de toutes ces informations, difficile de ne pas voir les réseaux sociaux comme le mal absolu. Prenons plus précisément l’exemple d’Instagram, qui a été déclaré en 2017 comme le réseau social le plus néfaste pour la santé mentale par une étude anglaise. Rien de bien réjouissant donc. Et en même temps (oserais-je utiliser cette phrase)… il me semble qu’Instagram peut aussi être un véritable outil d’acceptation. 

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Photo : thebirdspapaya

L’engagement sur les réseaux sociaux

Une diversité de représentations

Je n’ai, par exemple, jamais vu autant de corps divers et variés que sur Instagram. Le mouvement body positive, qui est né en partie sur ce réseau, a, en ce qui me concerne, été incroyablement libérateur. J’ai conscience qu’il est par la suite devenu très problématique pour de nombreuses raisons. Notamment car il a pu être récupéré par une catégorie de personnes dont le corps correspond tout à fait à la norme sociale. Il a eu toutefois le mérite, à ses origines, de mettre en avant une grande diversité de corps et d’être un bel outil de revendication et de lâcher prise. 

La révolte digitale

Ma conscience féministe s’est par ailleurs énormément développée grâce à ce réseau. À la suite, de #MeToo, mouvement rendu possible grâce aux réseaux sociaux, j’ai découvert de nombreux comptes engagés. Cela m’a permis de m’instruire sur certains sujets ou encore de découvrir des autrices que j’ai ensuite lu. Dans cette continuité, j’ai ouvert les yeux sur certains aspects problématiques et inhérents à la vie d’une femme. Des aspects que je n’avais pas encore réalisés, ou que j’avais identifiés depuis longtemps comme malaisants sans réussir à exprimer pourquoi. C’est sur Instagram que j’ai découvert le concept de charge mentale et la notion de consentement. C’est aussi là que j’ai découvert le nombre de femmes tuées chaque année sous les coups de leur conjoint ou ex-conjoint.

Et c’est Instagram qui m’a décidée à ne pas rester derrière l’écran de mon téléphone et à sortir de chez moi. À m’investir dans la vie associative, à sortir manifester, à revendiquer des choses que je pensais depuis très longtemps sans jamais avoir osé les formuler à voix haute. Je suis persuadée que c’est en partie grâce à Instagram qu’aujourd’hui je n’hésite plus à m’exprimer lorsqu’une phrase dans une conversation me déplaît. Même si c’est un homme qui la prononce.

Instagram, vrai désastre pour notre santé mentale ?

C’est également sur Instagram que j’ai le plus entendu parler de santé mentale et que j’ai vu la parole se libérer à ce sujet. C’est d’ailleurs ce que décrit la journaliste Jennifer Padjemi dans son article paru sur Slate : « Instagram, antichambre de la psychothérapie ». Elle y relate notamment l’arrivée et le développement de la psychologie sur ce réseau social.

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Photo : @howmental

Certes, lire des citations inspirantes sur Instagram ne remplacera jamais une thérapie. Toutefois suivre et interagir avec ce type de contenu peut être considéré comme un premier pas. Notamment pour les personnes craintives à l’idée de franchir la porte d’un-e thérapeute. Ou qui, pour une raison ou une autre, sont trop éloigné-e-s de cet univers.

Le vrai problème, selon la psychologue Stella Tiendrebeogo interviewée dans l’article, ne réside pas fondamentalement dans Instagram. Le problème est que nous vivons dans une société de performance qui fatalement nous entraîne dans une comparaison incessante avec autrui. Dans cette mesure, Instagram peut tout à fait exacerber cette tendance. Mais, comme souvent, le coeur du problème n’est pas là où on le croit. 

Faut-il brûler nos téléphones ?

Tout ce bla-bla pour se demander s’il est possible d’avoir une utilisation positive et éthique des réseaux sociaux. Et bien, le documentaire Derrière nos écrans de fumée s’achève en laissant penser que oui. Il donne également quelques pistes pour essayer d’en avoir une utilisation la plus raisonnable possible. 

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Quelques bonnes pratiques des réseaux sociaux

  • Désinstaller les applications qui nous font perdre un temps précieux et qui font vibrer constamment notre téléphone pour la moindre raison ;
  • Couper les notifications, surtout pour des informations qui n’ont pas un intérêt immédiat ;
  • Choisir d’autres moteurs de recherches que Google. Qwant par exemple, qui ne garde pas d’historique de recherche. Ou Ecosia ou Lilo, qui sont des moteurs de recherche solidaires ; 
  • Ne jamais regarder une vidéo qui nous est suggérée par YouTube ; 
  • Installer une extension de Chrome qui permet de retirer les recommandations de pages ;
  • Avant de partager une information : toujours vérifier les faits et examiner la source ;
  • Se confronter à toutes sortes d’informations. N’hésitez pas à suivre des gens qui n’ont pas du tout les mêmes opinions que vous. C’est dur, mais cela permet d’être soumis à d’autres points de vue et ne pas simplement voir des informations avec lesquelles nous sommes en accord ;
  • Ne pas oublier que la plupart des personnes travaillant dans la tech interdisent ou restreignent énormément l’utilisation d’écrans à leurs enfants. 

 

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Conclusion

De mon côté, j’applique pour Instagram une règle depuis quelques temps. J’essaye de trouver la bonne balance entre « ce qui m’inspire, ce qui me déprime ». Je sais désormais reconnaître un contenu qui me chagrine ou me culpabilise pour telle ou telle raison. Je sais également qu’il n’est pas bon pour moi de rester abonnée à ce type de contenus. J’ai aussi pris la décision de ne plus aller sur Instagram après une certaine heure le soir. Et j’éteins mon téléphone à 22h30, même si je me couche plus tard. Je ne l’allume pas tout de suite en me réveillant. J’ai construit une routine matinale dans laquelle la consultation de mon téléphone n’est pas prioritaire.

Bien sûr ce n’est pas parfait. Je suis encore souvent derrière une série ou un film après 22h30. Mais en avoir conscience et faire attention à mon comportement en ligne me raisonne. J’ai un peu plus d’armes. Prendre conscience d’une addiction, c’est déjà (un peu) la combattre.

2 Comments

  • Tiphaine dit :

    Merci pour cet article super éclairant. Je n’ai pas encore regardé le documentaire mais tu m’a donné envie. Clairement, je te rejoins sur pas mal de points. Oui les réseaux sociaux peuvent être problématiques. Notamment quand t’es ado et en pleine construction. Je me souviens des heures passées à regarder la vie des gens sur Facebook et à me sentir nulle. C’est d’ailleurs ce qui m’a poussé à l’époque a supprimer mon profil. Et maintenant, en étant adulte, je vois les travers mais aussi les trucs cool. Genre cette libération de la parole sur plein de sujets : les violences sexistes, la culture du viol, le féminisme intersectionnel. Je pense qu’avec les bonnes clés, les réseaux sociaux peuvent nous faire réfléchir et avancer. En fait, il faudrait qu’on puisse utiliser et consulter les réseaux en étant bien dans sa tête et son corps et ayant assez de recul sur cette pratique, pour pas ne se faire bouffer par les côtes négatifs.

    • Alizée Brimont dit :

      Merci pour ce retour constructif 🙂
      Je suis tout à fait d’accord : c’est plus sain d’utiliser les réseaux sociaux en ayant toutes ces infos en tête.