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Rencontre avec Marion, mannequin body positive

By 4 février 2020 décembre 4th, 2020 No Comments
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Marion est une jeune mannequin de 20 ans avec qui j’ai eu l’opportunité d’échanger sur le shooting de la collection 2020 de la marque de maillots de bain éco-responsable Coco Frio Paris. Nous avons parlé du fait d’accepter son corps et de body positive, de certaines relations toxiques dont il faut se défaire. Des propos empreints de féminisme, ce qui bien sûr n’était pas pour me déplaire.

J’ai beaucoup apprécié notre conversation et le fait qu’une personne si jeune ait déjà réussi à déconstruire de nombreuses idées reçues transmises par la société.  J’étais impressionnée par son état d’esprit si éloigné du mien lorsque j’avais son âge il y a 8 ans. À cette époque, je me persuadais alors que mon bonheur résidait dans le fait de perdre sept kilos.

Qu’est ce que ça veut dire, aujourd’hui, avoir 20 ans et être mannequin body positive ? J’ai souhaité retranscrire ici notre rencontre et les réflexions qui en ont découlé.

Crédit photo Charlotte Lapalus, MUHA Emilir Green.

Bonjour Marion ! Peux-tu dans un premier temps te présenter ?  

Bonjour ! Je suis née à Marseille le 2 juillet 1999, j’ai donc 20 ans. Vers 11 ans à peu près, j’ai déménagé dans la campagne, toujours en Provence. Après mon BAC je suis retournée à Aix-en-Provence pour faire des études d’économie, ce qui ne me plaisait pas plus que ça. Comme je faisais déjà pas mal de mannequinat depuis cinq ans, j’ai finalement décidé d’arrêter mes études en fin d’année dernière juste après mes partiels. Et depuis je suis mannequin à plein temps !

Comment as-tu commencé à travailler en tant que mannequin ?

J’ai toujours adoré la photographie que je pratique depuis très jeune, notamment car j’ai eu la chance de beaucoup voyager avec mes parents. Comme j’avais beaucoup de complexes adolescente, ma mère a pensé qu’une séance de photos en tant que modèle pourrait m’aider à doper ma confiance en moi. Elle m’a donc offert un shooting avec un photographe professionnel à Aix-en-Provence, c’était en 2014. Cette séance a été une révélation. Moi, l’adolescente complexée, on me comparait tout à coup à Isabelle Adjani ou encore Laetitia Casta, je n’en revenais pas ! Ça m’a libérée. Le photographe m’a encouragée à faire d’autres séances et à continuer dans ce milieu. Alors j’ai persévéré et il y a eu de plus en plus de shootings jusqu’à ce que je sois repérée en agence. Ce qui était à l’origine une séance d’art thérapie s’est transformée en révélation professionnelle et m’a aidée à surmonter mes complexes. Le métier de mannequin m’a permis de prendre énormément confiance en moi, je vivais à l’époque une période très compliquée, notamment à cause d’une relation très toxique dont j’ai pu me défaire. Je pense que ce métier m’a presque sauvée la vie, j’entretiens donc un rapport très fort avec lui et je ne me vois pas faire autre chose avant un bon moment. Cela dit, les débuts ont été un peu compliqués car il y a encore peu de temps être mannequin « grande taille » n’était pas accueilli à bras ouverts en France. 

Tu es donc considérée comme une mannequin « grande taille » ? 

Oui tout à fait. Je précise qu’à mes débuts j’étais un peu plus mince, je faisais une taille en moins. 

Crédit photo Charlotte Lapalus, MUHA Emilir Green.

À partir de quand une mannequin est-elle considérée « grande taille » ?

D’un 38/40 à peu près… C’est un peu dramatique je sais, d’autant plus que c’est la taille de vêtements moyenne en France ! Mais c’est malheureusement la réalité. De mon côté je ne me présente pas comme mannequin « grande taille », je préfère dire que je suis mannequin, c’est tout.

Ce serait un vrai progrès si tes mensurations et ta taille étaient normalisées non ? 

Complètement. Et puis j’ai du mal avec les cases. Je n’ai pas envie de me définir sous une étiquette, je suis moi avant tout.

Sur ton compte Instagram tu abordes beaucoup le courant body positive. Sur l’un de tes posts tu parles notamment de ton expérience en disant qu’adolescente tu étais tellement complexée que tu souhaitais te faire opérer des jambes.

Ohlala oui… Je voulais me faire opérer des mollets, des chevilles et j’en passe. C’est vraiment mon métier qui m’a permis de m’épanouir et de me tourner vers le mouvement body positive. Avant cela, le problème était que j’avais toujours beaucoup aimé regarder les défilés ce qui m’a donné une fâcheuse tendance à me comparer alors qu’il n’y a rien de pire. C’est d’ailleurs ce que je dis en priorité aux filles qui me contactent sur Instagram et qui me demandent comment balayer leurs complexes : dans un premier temps, arrêter de se comparer ! Et ça commence en cessant de suivre des comptes qui te donnent un profond sentiment de mal-être. Ce qui est fou c’est que j’ai aussi plusieurs hommes qui sont venus me parler sur Instagram pour me dire qu’ils ne savaient plus quoi faire pour aider leur copine qui se sentent très complexées. Ils ont beau essayer de tout mettre en oeuvre pour leur donner confiance en elle, rien à faire. La preuve que tout ça, c’est personnel et c’est avant tout dans la tête.

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Coco Frio Paris. Crédit photo Élodie Daguin. DA (c) Studio Krabb

C’est vrai. Je dis souvent qu’il faut trouver la limite entre ce qui t’inspire et ce qui te déprime. 

Complètement ! Par exemple, tu peux suivre une fille hyper sportive et y trouver une forme de motivation. Mais bon trouver ton inspiration dans des comptes comme celui d’Emrat par exemple (Emily Ratajowski) c’est peut-être pas la meilleure des idées. Je n’ai rien contre elle en particulier mais elle complexe quand même énormément de filles qui considèrent son corps comme le canon de beauté à atteindre absolument et finissent par se dire que c’est la norme. Je trouve ça dommage d’aduler autant ce type de physiques. Le body positive réside pour moi dans le fait de célébrer toutes les morphologies et de reconnaître qu’elles existent. Il y a donc des corps comme celui d’Emrat, bien sûr, mais aussi une pluralité d’autres.

De ton côté, tu as désormais réussi à avoir un rapport sain avec ton corps ? 

Oui plutôt mais bien sûr cela dépend des moments. Comme tout le monde, il y a des jours où rien ne va, où je ne vois que les endroits de mon corps où il y a du gras… Bref, difficile d’être body positive tous les jours. Et puis finalement tu te rappelles que personne n’est parfait, que c’est ton corps, qu’il est très beau comme il est, et tu arrives à relativiser. Malheureusement ça dépend aussi un peu des hommes que je rencontre. J’ai arrêté ma dernière relation parce que mon ex-copain m’a avoué au bout d’un moment qu’il me trouvait trop grosse, donc j’ai coupé court. Il y a aussi des hommes très toxiques et ça n’aide pas, j’ai l’impression que beaucoup de femmes sont dans cette situation. 

Crédit photo Charlotte Lapalus, MUHA Emilir Green.

Tu as des modèles que tu apprécies et que tu trouves inspirant-e-s ? 

Ashley Graham ! J’ai l’impression qu’elle a vraiment chamboulé les choses et que c’est elle en premier qui a encensé le courant body positive. J’aime aussi beaucoup Jill Kortleve qui a défilé récemment pendant la fashion week de Paris. Je trouve qu’elle a un profil plus masculin qui me plaît. En mannequin classique j’aimais beaucoup Miranda Kerr à une époque. Mais comme je te disais je me rends finalement compte que j’avais tendance à me complexer en suivant des femmes aux physiques dits “parfaits”. Alors je n’en suis plus beaucou

Est ce que tu trouves que certaines portes se ferment en étant mannequin
« grande taille » ? 

Oui. Curieusement je ne parviens pas beaucoup à travailler avec des marques de beauté. Il y a quelques temps ma bookeuse avait repéré un casting beauté mais je n’ai jamais pu y avoir accès. Je n’avais apparemment pas les critères physiques. J’imagine qu’ils souhaitaient un visage assez creux donc envisager de prendre une mannequin « grande taille » n’était pas une option… Un autre domaine auquel je n’ai pas accès, et cela me peine un peu, c’est celui des robes de mariées ! Il y a peu de marques qui font des photos avec des mannequins « grandes taille ». J’ai failli faire un shooting mariage il y a quelques temps mais ils m’ont annulée une semaine avant… D’ailleurs, Ashley Graham dont on parlait tout à l’heure a collaboré avec la marque Pronovias pour propose une gamme grande taille et j’adore. 

En tout cas pour le prêt-à-porter, la lingerie, le maillot de bain, le sport, je n’ai aucun soucis mais j’ai l’impression que dans le domaine du mariage et de la beauté ils n’ont pas encore passé le cap…

On parle de plus en plus du self-care et j’aime dire qu’il est important d’être doux avec soi-même. Tu as une routine douceur pour toi ?

Pas spécialement même si je prends soin de mon alimentation par exemple. En revanche je ne fais pas de sport même si j’aimerais m’y remettre, mais c’est dur ! J’aime beaucoup les sports d’eau et à Paris c’est compliqué, surtout en ayant grandi au bord de la mer. À Marseille je n’avais qu’à sortir pour plonger !

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Coco Frio Paris. Crédit photo Élodie Daguin (c) DA Studio Krabb.

Qu’est ce qui te donne confiance en toi au quotidien ? 

Mon métier, tout simplement. Il m’a aidé et m’aide encore à m’épanouir. Je reçois aussi beaucoup de bonnes ondes de plein de personnes différentes, ça me donne de l’énergie.

Tu reçois de l’énergie via ton compte Instagram notamment ?

Oui un peu. C’est vrai que ça me donne de la force de voir que j’aide certaines femmes à se sentir mieux dans leur corps, en leur proposant des photos sans retouches et au naturel. Malheureusement il y a aussi le revers de la médaille. Je reçois des témoignages assez durs de femmes qui ont connu plusieurs formes de violences par exemple. Sur la longueur, ça peut être compliqué.